Plus fort encore que les Festina de 1998
Carlos Sastre (Reuters).
Une calculette dans la musette . Le Tour vu par Antoine Vayer*.
QUOTIDIEN : vendredi 25 juillet 2008
Faut-il conclure que le sport de haut niveau n’est
plus qu’une escroquerie intellectuelle ? Pour se faire un avis,
revenons en arrière. L’Italien Riccardo Ricco était dans l’équipe
Saunier Duval, dirigée par Gianetti. Ce dernier a été longuement
hospitalisé suite à l’utilisation de perfluocarbone (PFC) en 1998,
quand il était coureur à la Française des jeux. Le vainqueur de
l’Alpe-d’Huez avant-hier fut l’Espagnol Carlos Sastre, de l’équipe CSC,
coachée par Bjarne Riis, «monsieur 60 %», en référence à son taux
d’hématocrite (et un coureur est interdit de départ dès 50) et déchu de
son Tour 1996 pour dopage à l’EPO. Ricco et Sastre sont dans le bateau
du Tour 2008. Enfin, l’Italien l’était : Ricco et la Saunier Duval ont
été débarqués.
Pour se vêtir de la tunique d’or, le Madrilène Sastre (33 ans) a
simplement maintenu son niveau dans les Alpes. Un niveau qui permet à
un coureur de 70 kilos de développer une puissance moyenne située entre
423 et 430 watts dans les cols finaux de fin d’étape, après six heures
de vélo et deux cols hors catégorie dans le rétro. Pour simplifier,
cette puissance mécanique restituée lui a permis de rouler, tant dans
les montées clés de Prato Nevoso que de l’Alpe d’Huez, à 21 km/h sur
des pentes moyennes de 8 %. Je ne commente même pas. Il a fait le
ménage derrière l’aspirateur de l’Agence française de lutte antidopage,
qui est allé chercher les moutons de la Saunier Duval sous le lit du
Tour. Les CSC ont été ammené par un rouleur monstrueux : Fabian
Cancellara. Le Suisse, qui a reproduit plusieurs fois des relais
phénoménaux en pente (entre Belleville et Saint-Sorlin-d’Arves, dans
l’avant-dernier col de l’étape de l’Alpe-d’Huez) à 30 km/h sur
6,5 bornes, a laminé seul ce qui restait du maigre peloton de grimpeurs.
Foudroyantes. Son autre équipier, le jeunot Andy Schleck, est
capable d’aller chercher les adversaires velléitaires plus d’une
dizaine de fois par des accélérations foudroyantes à plus de 470 watts
et à 35 km/h, au plus fort des pentes. Andy, c’est la star de demain.
En 2004, lors de la montée «contre-la-montre» (sans difficultés
préalables) de l’Alpe-d’Huez, les meilleurs Français, comme Stéphane
Goubert et David Moncoutié, s’étaient exécutés en 39’56’’ et 39’58’’…
Cette année, avec deux cols dans le cornet (Galibier et Croix de Fer),
ils font 43’20’’ et 44’27’’. Sastre, lui, avait grimpé en 39’57’’
en 2004. Avant-hier, le même Sastre gravit la pente en 39’30’’.
J’aimerais qu’on m’explique ce gain de près 30 secondes. Jérôme Pineau
a abordé l’Alpe-d’Huez en tête : il termine à 12 minutes de Sastre.
Moncoutié va quitter Cofidis faute de résultats. Goubert (38 ans) a un
nouveau contrat.
Toscane. Côté finances, les gains amassés par les stars des
années EPO leur ont permis d’acquérir notoriété et propriétés en
Toscane et dans le sud de la France. On ne citera personne : ils nous
racontent le Tour chaque jour. Mieux vaut en rire. Avant-hier, 3
000 kilomètres avaient été parcourus en soixante-quatorze heures et
trente-neuf minutes. Nous allons tout droit vers la cinquième moyenne
la plus rapide de toute l’histoire du Tour. Vu ce que je sais, et pour
avoir vécu in vivo les incidences du dopage organisé chez Festina (j’ai
témoigné en tant qu’expert au procès de 2000), je m’étonne des
performances.
En 1998, j’entraînais Festina, où Stéphane Goubert était équipier.
Une équipe, à l’époque, où le perfluocarbone était interdit, et les
taux d’hématocrite réglés entre 49 et 50. Une équipe où l’IGF1,
toujours indétectable, était pris comme un sucre d’orge. Une équipe où
les corticoïdes retard étaient injectés par petites doses. Tout cela
pour dire que je constate que depuis, chaque année, nous assistons à
des numéros individuels ou collectifs quantifiables et supérieurs à
ceux de notre équipe. A l’époque, il fallait se doper simplement pour
suivre dans le ventre mou du peloton. Aujourd’hui les branches qui
dépassent de la forêt sont coupées. On a arasé un sommet (Ricco).
Après 1998, plus rien ne devait être comme avant. Nous en sommes
en 2008. Et à des niveaux de performances supérieurs à ceux du dopage
«contrôlé» de l’ère Festina. Comprenne qui pourra.
*Professeur d’EPS et ancien entraîneur de Festina,
Antoine Vayer, 45 ans, dirige AlternatiV, une cellule de recherche sur
la performance, à Laval (Mayenne). Il chronique le Tour pour
Libération.http://www.liberation.fr/actualite/sports/tour_de_france_2008/341105.FR.php